La dernière fois que vous avez écouté 24 mila baci d’Adriano Celentano, c’était ? Si ça fait un bail ou pour ceux qui sont passés à côté, cette chronique musicale est faite pour vous ! Et comme toujours, n’hésitez pas à partager avec nous en ajoutant un commentaire à la fin de cet article !

- Morceau du jour : 24 mila baci
- Single
- Artiste : Adriano Celentano
- Genre : Pop, Rock
- Label : Jolly
- Compositeurs : Adriano Celentano et Ezio Leoni
- Auteurs : Piero Vivarelli et Lucio Fulci
- Date de sortie : 1961
Pourquoi faut-il écouter 24 mila baci d’Adriano Celentano ?
Les cinéphiles à qui l’on évoquerait la musique du film Le Mépris de Jean-Luc Godard partiraient certainement bille en tête (et assez logiquement) dans de longs développements sur Georges Delerue qui en composa la bande originale et dont le thème principal (le thème de Camille) – inspiré par le prélude de la Suite pour violoncelle no 1 de Jean-Sébastien Bach – connut la postérité pour être non seulement d’un romantisme inégalé mais aussi à tout jamais associé aux fesses de Brigitte Bardot. C’est d’ailleurs dès la minute 3 de ce long-métrage que résonnent les premières notes poétiques de l’orchestre symphonique à cordes tandis que la caméra glisse sur une Bardot, entièrement nue, soumettant Michel Piccoli à un interrogatoire qu’aucune autre femme saine d’esprit ne pourrait raisonnablement vouloir mener : de la pointe des pieds jusqu’au bout du nez, validation est demandée…! Voilà comment en quelques secondes naît l’une des scènes les plus mythiques du cinéma français. Ensorcellement de nos sens et chavirement de notre cœur puisque figurez-vous – spoiler alert – qu’il l’aime toute entière… et en même temps comment faire autrement, c’est tout de même de B.B. dont il s’agit, damn!

Mais laissons aux spécialistes le soin de nous parler de Georges Delerue et faisons plutôt un pas de côté pour s’attarder sur ce qui constitue la seule musique du Mépris qui ne soit pas une œuvre du compositeur français : 24 mila baci d’Adriano Celentano. Avec ce rock italien à l’esprit yéyé, nous voilà à des années lumières des compositions sentimentales qui accompagnent nos acteurs tout au long du film. Ce titre mérite par conséquent qu’on s’y attarde – un tel choix par Godard a forcément ses raisons !
24 mila baci, du yéyé en italien

Enregistré en 1961, soit deux ans seulement avant la sortie du Mépris, 24 mila baci est l’un des grands tubes de l’époque et, lorsque le film est porté à l’écran, il a sa place dans la playlist de toute bonne surprise-party. Quelques soixante années plus tard, il nous charme par sa légèreté et son côté rétro, lesquels insufflent en nous un brin de nostalgie – et c’est tout de même très fort ! – pour une époque qu’on n’a pas connue. Chanteur à la carrière encore balbutiante (même s’il a déjà remporté quelques succès en Italie), Adriano Celentano voit son destin basculer en interprétant ce morceau lors du concours de chant du Festival de Sanremo alors qu’il fait son service militaire et a obtenu une dérogation spéciale de l’armée pour se rendre à l’évènement. Et s’il choque le public en lui tournant brièvement le dos avant d’amorcer son premier refrain (« mais qu’est-ce qu’il fout ce p’tit merdeux ?!« ), il finit par le séduire avec sa cravate à lacet façon Zorro, ses claquements de doigts frénétiques, ses jambes en X à la Elvis accompagnées d’un déhanché pas totalement maîtrisé – difficile en cela d’égaler le King – mais aussi et surtout grâce à son énergie communicative et une chanson à l’intensité diablement entraînante (dont il composa la musique en collaboration avec Ezio Leoni).
Il suffira de 2 minutes et 29 secondes pour que la carrière de Celentano soit définitivement lancée. Le chanteur décrochera le 2e prix du festival et écoulera plus de 500.000 exemplaires de son 45 tours en seulement quelques semaines. Et comme tout titre à succès dans les 60’s, il ne faudra guère attendre plus de deux mois pour que de multiples reprises de la chanson se fassent entendre sur les ondes, dont une par un certain Johnny Hallyday, lequel plus de trente-cinq ans avant d’allumer le feu enflammait le cœur des demoiselles avec 24.000 baisers.
24 mila baci et Le Mépris de Jean-Luc Godard
Surnommé l’urlatore (l’homme qui hurle), Celentano n’économise pas ses cordes vocales en promettant ses 24 mila baci. Un amour passionné l’anime sans doute même si, à l’évidence, Jean-Luc Godard nous invite avec Le Mépris à revisiter le titre sous l’angle de l’énergie du désespoir puisque lorsqu’il résonne aux oreilles de notre couple vedette, Michel pourrait bien chanter tout ce qu’il a d’amour pour Brigitte, la Bardot elle n’en veut plus de ses baisers – alors 24.000, vous pensez bien !

La séquence se déroule à l’entracte dans un cinéma de Rome peu fréquenté tandis que, sur scène, une « karaokiste » ayant irrémédiablement franchi la frontière du ridicule interprète le morceau de Celentano sous le regard distrait de quelques spectateurs. A ce stade du film, rien ne va déjà plus entre mari et femme et Godard signe une scène brillante où se cristallise toute la tension entre les deux personnages alors qu’il convient de maintenir les convenances devant Fritz Lang et Jack Pallance, leurs compagnons de soirée. Le quatuor échange au sujet du film en cours de tournage, une adaptation de L’Odysée d’Homère, sur lequel les trois hommes travaillent ensemble. Et tandis que Michel Piccoli, en scénariste imaginatif et amoureux blessé, développe une théorie bien personnelle sur l’absence de retour d’Ulysse à Ithaque auprès de Pénélope (cf. encart ci-dessous), la chanson sonne, maladroite, sur des paroles devenues floues faute d’être entendues par sa destinataire. Cette séquence, certes moins emblématique que celle évoquée en ouverture, la surpasse pourtant par sa force dramatique et le génie de sa composition. On ne peut que faire clap, clap, clap.
_ Piccoli : Enfin, on parle toujours d’Ulysse qui revient vers Pénélope, mais… Au fond, peut-être qu’Ulysse en avait vraiment marre de Pénélope ! C’est pour ça qu’il a fait la guerre de Troie… et comme il n’avait plus du tout envie de rentrer… il a fait durer son voyage le plus longtemps possible.
_ Lang : Vous croyez que c’est une idée de lui ou de… (pointant du doigt vers Jack Palance) ?
_ Bardot : (dans un murmure, se penchant vers Fritz Lang comme pour lui confier un secret) J’m’en fous…
24 mila baci et la Dolly Bell d’Emir Kusturica

Enfin, puisque c’est le cinéma de Godard qui nous aura amené à 24 mila baci, laissons 24 mila baci nous conduire vers un autre univers cinématographique génial, celui d’Emir Kusturica.
Le réalisateur franco-serbe donne en effet la part belle à notre morceau du jour dans son premier long-métrage, Te souviens-tu de Dolly Bell ? sorti en 1981. Le titre revient comme une ritournelle tout au long du film, sortant du transistor, d’un phonographe ou encore de la bouche de Dino, jeune adolescent rêvant d’amour et de progrès, qui le fredonne ou le braille (selon l’humeur du moment) dans un Sarajevo des années 60 bien morne sous le régime communiste de Tito. Une ambiance incroyable et du 24 mila baci à tout va dans ce film qui remporta le Lion d’or de la première œuvre à la Mostra de Venise. Un long-métrage que je ne saurais trop vous recommander !
En bref :
Quand un film nous donne envie d’écouter un morceau qui lui même nous donne envie de découvrir un autre film, on se dit que le monde est tout de même drôlement bien fait. Vous repartez donc de cette chronique avec plusieurs missions, swinguer sur 24 mila baci et vous programmer deux merveilleuses séances de cinéma !
Let’s hit it! On écoute 24 mila baci
Je vous partage ici l’enregistrement de la prestation d’Adriano Celentano au Festival de Sanremo en 1961. Préparez-vous à du transgressif avec cette micro seconde de dos tourné au public qui fit scandale à l’époque !
Le même titre par d’autres, ça donne quoi ?
Adriano Celentano et le cinéma
Celentano connaîtra gloire et succès dans la chanson, nous l’avons dit, mais il fera également carrière au cinéma. Et même si son apparition y est anecdotique, il peut tout de même se prévaloir d’une séquence dans La Dolce Vita de Fellini. Il y joue son propre rôle, celui d’un chanteur de rock, et interprète avec ferveur le rock endiablé Ready Teddy de Little Richard faisant swinguer une Anita Ekberg dont la crinière de lionne, les pieds nus et la robe fendue jusqu’au haut des cuisses n’est pas sans nous rappeler une certaine… Brigitte Bardot (!), elle-même envoûtée par la danse dans le film Et Dieu… créa la femme de Roger Vadim (sorti en 1956 soit quatre ans avant la Dolce Vita). Une scène de danse Fellinienne qui fut peut-être, elle-même, source d’inspiration pour les chorégraphes de Dirty Dancing car elle se clôture par le désormais iconique porté de Patrick Swayze sur Time of my life !
C’était quoi le Top Five en 1961 ?
Aux Etats-Unis – Billboard Hot 100
- #1 Tossin’ and Turnin’ – Bobby Lewis
- #2 I fall to pieces – Patsy Cline
- #3 Michael – The Highwaymen
- #4 Crying – Roy Orbison
- #5 Runaway – Del Shannon
En France
- #1 Hit the road Jack – Ray Charles
- #2 Pepito – Los Muchacambos
- #3 Non, je ne regrette rien – Edith Piaf
- #4 La marche des anges – Les compagnons de la chanson
- #5 Brigitte Bardot – Dario Moreno (tiens, toujours elle !)

La nostalgie est au rendez-vous à l’écoute d’Adriano Celentano qui me rappelle mes jeunes années. J’ai lu avec grand interêt votre chronique reliant l’histoire d’une chanson et celles de films qui m’incite à revoir le Mépris et à découvrir le film de Kusturica.
Chouette ! Merci pour ce partage, j’en suis ravie ! Te souviens-tu de Dolly Bell ? est disponible gratuitement sur Youtube (beaucoup de publicités qui entrecoupent le visionnage mais je n’ai pas trouvé mieux !)
Et n’oublions pas la reprise de « Prisencoli » par Jose Garcia dans « Rire et châtiment » (oui, votre cinéphilie et plus chic que la mienne) https://www.youtube.com/watch?v=ihAHVrFV8OY
Ouverture d’esprit et bienveillance… et puis, difficile de ne pas aimer José Garcia quoi qu’il fasse ????