Vous n’avez pas encore lu Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne ? Cette critique littéraire est faite pour vous ! Et pour les familiers du roman, n’hésitez pas à partager votre ressenti avec nous en ajoutant un commentaire à la fin de cet article !

- Une journée d’Ivan Denissovitch, Alexandre Soljenitsyne
- Littérature russe / Littérature Etrangère / Littérature XXe
- Genre : Roman
- Parution : 1962
- Distinction : Soljenitsyne – Prix Nobel de littérature (1970)
- Thématiques : Histoire / Russie / Enfermement / Survie / Goulag
Que nous dit la 4e de couv’ d’Une journée d’Ivan Denissovitch ?
En 1962, avec ce texte inoubliable écrit en deux mois dans une langue vive, truculente et lyrique, Soljenitsyne et le mone du goulag entraient en littérature.
Pourquoi Une journée d’Ivan Denissovitch vaut le détour ?
Il y a des livres comme ça, on n’a tout simplement pas le droit de passer à côté. Alors s’il n’est pas déjà dans votre bibliothèque : direction la librairie la plus proche et on repart avec Une journée d’Ivan Denissovitch d’Alexandre Soljenitsyne sous le bras. Je sais, certains me diront : “Intéressant… mais j’ai besoin d’un truc plus léger en ce moment.” Et comme une Amy Winehouse à qui l’on proposerait un petit séjour en Rehab, je vous répondrais « No, no, no ! »… mais on s’égare…! Revenons à Denissovitch.
Ca parle de quoi Une journée d’Ivan Denissovitch ?

Ce court roman (ou récit semi-autobiographique) est un bijou à l’état brut, un livre profond au style rugueux (et, par touches, étonnamment drôle), empruntant la langue de son personnage principal, un homme du peuple, ancien moujik devenu soldat durant le second conflit mondial avant d’être injustement condamné en tant que prisonnier de guerre par son propre camp. Soljenitsyne nous plonge dans l’URSS Stalinienne, l’univers du Goulag, les camps de travaux forcés dans des lieux reculés à la nature et aux températures hostiles, où des milliers d’hommes purgent leurs peines (beaucoup sans trop comprendre pourquoi). C’est la vie du camp qui nous est racontée, sans pathos, le témoignage fort d’une journée comme toutes les autres, du réveil au coucher, avec ses portraits d’hommes, ceux que Soljenitsyne a lui-même côtoyés lorsqu’il fut détenu entre 1945 et 1953.
Ivan Denissovitch est prisonnier depuis 8 ans déjà. Son intelligence de la vie et sa connaissance de la nature humaine lui permettent de survivre là où tant d’autres n’en réchappent pas. Chaque minute de la journée, chaque geste (même les plus anodins) est pensé, anticipé dans un but unique : Vivre. Alors qu’il endure l’insupportable, Denissovitch, dans sa simplicité rurale, sans brandir d’étendard ni prétention philosophique, nous transmet un magnifique et émouvant hymne à la vie. Il ne s’agit pas de survivre dans l’espoir d’un après – le retour à une existence d’homme libre, il s’interdit d’y penser – mais la volonté farouche de ne pas renoncer à la vie ni aux hommes, Là, Maintenant.
Une journée d’Ivan Denissovitch, en bref :
Un livre d’une puissance comme il en existe peu. Magnifique et absolument incontournable.
De courts extraits d’Une journée d’Ivan Denissovitch pour se faire une idée
Il coupa la miche en deux. Une moitié alla sur son sein, dans la poche blanche qu’il s’était cousue en dedans de la veste matelassée (à la fabrique pour les zeks, on les fait sans poches), et l’autre, puisque c’était bénéfice net à cause qu’il avait déjeuné sans pain, il pensa d’abord la manger de suite. Seulement, ça ne nourrit pas, ce qu’on avale vite : ça passe sans remplir. Au moment de ranger la demi-ration dans son coffre, il se ravisa encore : ça faisait deux fois qu’il avait fallu casser la figure aux dortoiriers. Parce qu’ils volaient : la baraque était grande, et on y entrait comme au moulin. Sans lâcher son pain, Ivan Denissovitch se tira les pieds des bottes (un tour d’adresse : en laissant chaussettes et cuiller dedans), grimpa nu-pattes jusqu’à sa couche, élargit le trou de la paillasse et y enfonça sa demi-portion dans la sciure. Ensuite de quoi, il se décoiffa pour retirer l’aiguille enfilée qu’il portait cachée dans son bonnet (cachée profond, parce qu’à la fouille on vérifie aussi les bonnets, même qu’une fois un surveillant s’était piqué et, de rage, lui avait quasiment défoncé le crâne). Il n’y avait plus qu’à coudre : un point, deux points, trois points et envoyez ! Le trou était fermé, le pain bien caché, et le sucre avait même trouvé le temps de fondre dans la bouche. C’est que, d’une seconde à l’autre, le répartiteur allait pousser la porte et son coup de gueule. Mais il savait se servir de ses dix doigts, Choukhov, et s’appliquer dur n’empêchait pas ses méninges de prévoir.


Il trouve bien agréable, Choukhov, que les autres le montrent du doigt à cause qu’il arrive au bout de sa peine. Mais, au fond, il n’y croit guère, lui. Tous ceux qui ont fini leur peine pendant la guerre, il y a eu pour eux une disposition spéciale : on les a gardés jusqu’en 46. De sorte que ceux qui avaient par condamnation trois ans à tirer, ça leur en a fait cinq de pas prévus. La loi, ça se retourne. Tu as fini tes dix ans ? On t’explique : u0022Fais-en encore dix par-dessus le marché.u0022 Ou on t’expédie en relégation. Il y a des fois, quand même, ça vous arrête la respiration, de se dire qu’on arrive au bout de sa peine et qu’il n’y a quasiment plus de fil sur la bobine… Bon pied, bon oeil et libre, c’est-il Dieu possible ?
Une journée de passée. Sans seulement un nuage. Presque de bonheur. Des journées comme ça, dans sa peine, il y en avait, d’un bout à l’autre, trois mille six cent cinquante-trois. Les trois de rallonge, c’était la faute aux années bissextiles.
Envie d’en savoir plus sur Une journée d’Ivan Denissovitch et Alexandre Soljenitsyne ?
Itsy-bitsy-teenie-weenie-biographie

Alexandre Soljenitsyne (1918-2008) est un auteur et dissident russe. En 1940, alors qu’il est enseignant, il est mobilisé dans l’armée rouge pour lutter contre l’invasion allemande. Accusé d’entretenir une correspondance critique à l’égard de Staline, il est condamné en 1945 à huit ans de travaux forcés dans un camp de travail. Sa peine purgée, il est envoyé en exil au Kazakhstan où il reprend l’enseignement et se consacre à l’écriture. Réhabilité en 1956, il revient s’installer en Russie et publie en 1962, avec l’autorisation de Khrouchtchev, son premier roman Une journée d’Ivan Denissovitch. Le livre remporte un succès international immédiat. Victime de la censure, il poursuit secrètement son œuvre littéraire dénonciatrice du caractère totalitaire du régime russe et parvient à la publication de ses textes via l’étranger. La sortie de L’archipel du Goulag en 1973 lui vaut d’être déchu de la nationalité russe et d’être expulsé d’Union Soviétique. Il connaîtra vingt ans d’exil, période durant laquelle il se consacrera à l’écriture de La roue rouge, roman historique monumental (inachevé).
Pour en savoir plus sur sa vie et son œuvre :
On écoute Alexandre Soljenitsyne
Pour les amoureux des archives de l’INA, retrouvez Soljenitsyne dans l’émission « Apostrophes » (1983), présentant l’homme dans son quotidien et en famille, alors qu’il vit en exil dans le Vermont aux Etats-Unis, suivi d’un riche entretien mené par Bernard Pivot à l’occasion de la sortie du premier volume de La Roue Rouge, roman historique de Soljenitsyne sur la révolution russe. L’auteur y évoque son livre, l’histoire de son pays, son travail, ses projets et son espoir de pouvoir un jour revenir dans son pays. Une archive exceptionnelle qui nous permet de découvrir un homme animé par une force de travail incomparable au service de la mission de sa vie : celle d’expliquer, de témoigner, d’être porteur de vérité.
Une journée d’Ivan Denissovitch et le cinéma
Le livre d’Alexandre Soljenitsyne a été adapté au cinéma à deux reprises. Une première fois en 1970, par le réalisateur finlandais Caspar Wrede, dont Soljenitsyne saluera l’intention de mettre en lumière l’enfer du Goulag par l’image. Il qualifiera le film « d’honnête et pénétrant » précisant toutefois que des vêtements des détenus aux prisonniers eux-mêmes tout y est malgré tout trop propre, « l’imagination occidentale ne pouvant se représenter les détails » de la vie dans les camps soviétiques.
Plus récemment, en 2021, le réalisateur russe Gleb Panfilov a proposé un film inspiré d’Une Journée d’Ivan Denissovitch, intitulé 100 minutes.
Alexandre Soljenitsyne, c’est aussi (notamment !)
- La maison de Matriona (Recueil de nouvelles) – 1963
- Le pavillon des cancéreux – 1968
- Le premier cercle – 1968
- L’archipel du Goulag (Essai) – 1974 et 1976
- La roue rouge

