Vous n’avez pas encore lu Babylone de Yasmina Reza ? Cette critique littéraire est faite pour vous ! Et pour les familiers du roman, n’hésitez pas à partager votre ressenti avec nous en laissant un commentaire à la fin de cet article !

- Babylone, Yasmina Reza
- Littérature Française / Littérature XXIe
- Genre : Roman – Polar
- Parution : 2016
- Distinction : Prix Renaudot
- Thématiques : Humour / Rapport au Temps / Introspection / Polar / Société
Que nous dit la 4e de couv’ de Babylone ?
Brillant. Yasmina Reza excelle dans l’art de dynamiter les conventions, saccager les familles, déchirer les couples, lézarder les amitiés, ruiner les illusions et railler l’esprit de sérieux.
Pourquoi Babylone de Yasmina Reza vaut le détour ?
« Babylone, Babylone, Babylone, tu déconnes… Babylone, Babylone, bientôt t’écraseras plus personne » nous chantait Bill Deraime en 1981 dans un blues français qui balançait avec énergie du noir et de l’espoir tout à la fois. Il y a cependant fort à parier que ce n’est pas à cette chanson que pensait Yasmina Reza en intitulant son roman Babylone… et pourtant il n’est pas dit qu’Elizabeth et Jean-Lino, ses deux héros, ne se seraient pas sentis de reprendre en cœur ce refrain tellement ça déconne et ça écrase la vie, la leur, celle des autres, parfois…
De quoi parle Babylone ?
Elizabeth Jauze a 62 ans. Elle est ingénieure à l’Institut Pasteur. Mariée à Pierre, professeur de mathématiques, elle mène une vie un peu bobo entre famille et amis intello, une vie sans vagues et désabusée dans la petite ville de banlieue parisienne au nom prédestiné de Deuil-l’Alouette où, semble-t-il, plus rien ne lui arrivera jamais… Elle a pour voisin Jean-Lino, un type pas franchement bobo, avec lequel, par curiosité, par ennui, par solitude, par empathie aussi, elle décide de dépasser le timide bonjour de circonstance devant l’ascenseur pour en faire un « presque-ami ».

Mais voilà qu’un événement tragique survient : la femme de Jean-Lino est assassinée en pleine nuit dans son appartement après une fête de printemps entre amis organisée par Elizabeth.
A mi-chemin entre le polar et la satire sociale, ce roman de Yasmina Reza nous balade dans deux univers, le lecteur évoluant entre le développement d’un thriller aux accents burlesques et le regard à la fois drôle et amer, dur et pourtant sensible de la narratrice sur le monde qui l’entoure, sur elle-même et sur le temps qui passe.
Consacrée pour ce roman par le Prix Renaudot 2016, la plume de Yasmina Reza dissèque au scalpel les moments de la vie – anodins ou non – avec un regard sans concession, qui flirte, comme un funambule, entre le tragique et la farce. A cela s’ajoutent des scènes cocasses dignes des Pieds Nickelés et des dialogues qui font mouche – autant d’éléments qui nous rappellent, s’il en est besoin, la grande dramaturge qu’est aussi Yasmina Reza.
Babylone, en bref :
Un roman jouissif, drôle et intelligent, où la mélancolie et les difficultés de la vie cèdent instantanément leur place à la légèreté et au rire parce que, finalement, il suffit de faire un pas de côté pour changer de perspective. Du grand art !
De courts extraits de Babylone pour se faire une idée
Je me suis souvenue des 60 ans de mon père. On avait mangé une choucroute à la République. C’était l’âge qu’avaient les parents. Un âge immense et abstrait. Maintenant, c’est toi qui l’as. Comment est-ce possible ? Une fille fait les quatre cents coups, se trimballe dans la vie juchée et peinturlurée et tout à coup se met à avoir 60 ans.

Il lâche prise. Je saisis la poignée rétractable et j’entraîne la valise. Le manteau glisse, la valise roule dessus, me freinant et manquant me faire trébucher. Cette merde de manteau redingote qui tombe toutes les deux minutes ! Retour dans le hall. Le manteau est dégueulassé. Tout est mouillé. Jean-Lino qui n’a plus rien dans les mains a l’air de s’être déguisé en trappeur. Il sort un paquet aplati de son blouson et allume une clope. Il dit, qu’est-ce qu’elle foutait là si tard cette salope ?
Denner me manque. Un homme mort il y a trente ans vous manque soudain. Quelqu’un qui n’aura rien connu de ma vie, ni métier, ni mari, ni enfant, là où j’habite, les lieux que j’ai vus, ni ma tête dans le temps. Ni plein d’autres choses inimaginables à l’époque. Il arriverait et on se marrerait. De tout. Est-ce qu’il y a dans le ciel, quelque part, une petite étoile Denner ? Il me semble l’entrevoir de temps en temps. Joseph Denner avait quatre ans de plus que moi. Grand, musclé, anar et alcoolo. Son père était cuistot. A quatorze ans, il était plongeur à la gare de Colmar. Je le sais encore car Denner aimait le répéter.
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Yasmina Reza, née en 1959 à Paris, est une dramaturge et écrivain française d’origine irano-hongroise. Elle débute sa carrière en tant qu’actrice et joue au théâtre, ce qui lui inspire très vite l’idée d’écrire sa première pièce. Conversations après un enterrement paraît en 1987 et reçoit un très bon accueil par la critique. Elle abandonne dès lors le costume d’actrice et poursuit une carrière de dramaturge et d’écrivain pour laquelle elle reçoit de nombreuses distinctions en France (Molière, Grand prix du théâtre de l’Académie Française) comme à l’international (deux Tony Awards et deux Lawrence Olivier Awards pour chacune de ses pièces Art et Le dieu du carnage). Yasmina Reza fait également des incursions dans le monde du cinéma avec l’écriture de quelques scenarii et la réalisation d’un film (Chicas) sorti en 2010.
On écoute Yasmina Reza
Secrète par nature, Yasmina Reza se fait rare dans les médias, chance nous est cependant donnée d’en apprendre plus sur l’écrivain dans un entretien (2017) intelligemment mené par Philippe Bilger, magistrat honoraire et président de l’Institut de la parole. On l’écoute (et jusqu’au bout pour l’entendre évoquer Babylone) !
Yasmina Reza, c’est aussi (notamment !)
- Art (Théâtre) – 1994
- Une désolation – 1999
- Dans la luge de Schopenhauer – 2005
- Le dieu du carnage (Théâtre) – 2006
- Heureux les heureux – 2013
- Serge – 2021


Comment ne pas aimer ce livre où se mêlent tragique et comique comme dans les comédies italiennes. L’amitié improbable entre la narratrice et Jean-Lino, a priori si différents mais qui se sont reconnus, est décrite avec une grande acuité. Ne pas manquer l’entretien de Yasmina Reza, si rare dans les médias, avec Philippe Bilger. Saluons son talent tout en nuance et subtilité qui amène Yasmina Reza à se livrer un peu.
Tout à fait d’accord Patricia ! Et merci d’insister sur le lien d’amitié entre les deux personnages, lien qui leur donne effectivement beaucoup de relief et les rend à la fois complexes et tellement humains.