Vous n’avez jamais lu L’équipage de Joseph Kessel ? Cette critique littéraire est faite pour vous ! Et pour les familiers du roman, n’hésitez pas à partager votre ressenti avec nous en ajoutant un commentaire à la fin de cet article !

- L’équipage, Joseph Kessel
- Littérature Française / Littérature XXe
- Genre : Roman
- Parution : 1923
- Distinction : Prix Paul-Flat de l’Académie Française
- Thématiques : Guerre / Amour / Amitié / Histoire / Courage
Que nous dit la 4e de couv’ de L’équipage ?
Enrôlé dans l’aviation française durant la Première Guerre mondiale, Joseph Kessel remporte avec L’équipage son premier grand succès, et fait entrer, dès 1923, l’aviation en littérature.
Pourquoi L’équipage vaut le détour ?

Dès les premières lignes de L’équipage se produit un petit miracle. Joseph Kessel, en romancier génial, nous cueille avec une efficacité redoutable à l’évocation de la scène d’ouverture de ce roman que l’on se figure encore mieux que si nous étions devant un écran de cinéma. Une mère, un père, sur le seuil de la maison familiale, un jeune homme, leur enfant, en tenue militaire sa cantine neuve à ses pieds. Ils se disent au revoir. On ne les a jamais rencontrés, ils ne nous sont pas familiers et pourtant, sous la plume de Kessel, on vibre comme si ce moment c’était nous qui le vivions. Sur le pas de cette porte, nous voici tour à tour ce jeune homme faussement gai et dont la gorge se noue malgré lui au dernier instant, puis, ce parent qui voit partir son enfant, le cœur serré de ne savoir s’il reviendra. Tout l’amour que se portent ces trois êtres se trouve concentré dans ces quelques secondes d’une vie. Mais savent-ils seulement qu’ils se disent « je t’aime » à cet instant ? Les mots ne sont pas prononcés mais tout est pourtant là, dans leurs regards, leurs silences, les quelques phrases banales échangées qui parviennent si mal à cacher le poids des émotions qui les étreignent. S’il existe des pages de littérature qui bouleversent par leur vérité simple, celles-ci en font résolument partie.
La suite…

Joseph Kessel nous la livre avec le talent de celui qui sait raconter les hommes, et ce d’autant mieux que de tels hommes il en a côtoyés alors que, tout jeune, il s’est engagé dans l’aviation lors du premier conflit mondial. On suit donc l’arrivée de l’aspirant Herbillon au sein de son unité, fier, vaniteux, un brin inconscient et malgré tout courageux. Mais avec ce roman, Kessel nous raconte avant tout le quotidien de l’escadrille de pilotes à laquelle notre jeune héros est affecté et les liens si particuliers qui unissent ces hommes, entre les moments d’attente où l’on cherche à tuer l’ennui et les sorties aériennes où l’on cherche à tuer l’ennemi tout autant qu’à sauver sa peau.
Car à chaque vol, la mort est là, tantôt sournoise tapie derrière le brouillard et les nuages, tantôt frontale et menaçante sous un soleil de plomb. Serré dans la carlingue étroite de l’appareil, à plusieurs pieds au-dessus du sol, l’équipage, constitué du pilote et de son observateur, est soudé comme seuls peuvent être soudés deux êtres dont les destins dépendent l’un de l’autre. De cette solidarité résulte le succès de la mission, le retour sain et sauf parmi les camarades de l’escadrille restés au sol, qui, anxieux, scrutent le ciel en tendant l’oreille dans une attente proche de l’insoutenable.
Et tandis que notre jeune héros trouve sa place, fait corps avec son unité, ne respire plus que d’un seul souffle avec son pilote, voilà qu’une fissure se dessine dans cette union qui devrait être scellée de plomb. Ce lien indéfectible entre le pilote et son observateur se trouve ébranlé par un effet malheureux du hasard qui aura placé une femme sur la route de cet équipage.
L’équipage, en bref :
Avec L’équipage, Joseph Kessel nous offre un roman qui traite magnifiquement d’amitié, d’honneur, de sens du devoir, de la mort et d’amour ; bref, de toutes ces choses qui animent une escadrille d’hommes transformés en héros par les circonstances tragiques d’une époque. Sublime.
Un court extrait de L’équipage pour se faire une idée
Il remonta son passe-montagne jusqu’au nez, abaissa son casque jusqu’aux sourcils et pensa tout à coup : « Je dois avoir une belle figure de lâche sous ce masque. » Il avait peur, mortellement peur. Tous ses camarades le croyaient intrépide ; seul, il savait combien sa chair était accessible à l’épouvante. Elle vivait à ses côtés perpétuellement. Il ne pouvait monter en avion sans angoisse, ni même songer à un vol sans que son cœur ne devînt plus lourd et plus lent à battre. Mais n’admettant point qu’un homme de sa lignée et de son élégance pût vivre dans la boue et des boyaux et des sapes, il avait demandé cet emploi de pilote, dangereux entre tous, et dont son orgueil le poussait encore à accroître les risques. La lutte poignante qu’il soutenait sans cesse contre son effroi lui avait façonné ce visage pétrifié qui écartait de lui toute amitié.
Envie d’en savoir plus sur L’équipage et Joseph Kessel ?
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Joseph Kessel (1898, Argentine – 1979, France), l’homme aux plusieurs vies dans une vie. Héros de guerre, il est doublement décoré de la Croix de Guerre, une première fois pour ses faits d’armes dans l’aviation lors du premier conflit mondial puis de nouveau en tant que résistant lors du second. Journaliste puis grand reporter, il parcourt plusieurs fois le tour du monde. Ses voyages et son expérience de la guerre lui inspirent l’essentiel de son œuvre littéraire. Il est l’auteur de plus de 80 romans. En 1962, Kessel est élu au fauteuil 27 de l’Académie Française, prenant la succession d’Auguste de La Force.
L’équipage est son premier roman, tiré des jours passés dans l’aviation durant la première guerre mondiale. Joseph Kessel a 25 ans lors de sa publication. Il dédie son livre « A Sandi » , son épouse depuis deux ans, qui décèdera quelques années plus tard de la tuberculose.
Tout savoir sur Joseph Kessel et son œuvre
Pour aller plus loin sur ces éléments biographiques, n’hésitez pas à consulter le site de l’Académie Française qui nous en dit plus sur Kessel, l’immortel :
Pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France, dont les ancêtres grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaires, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné ? Un Russe de naissance, et juif de surcroît. Un juif d’Europe orientale… vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui. De la sorte, messieurs, vous avez donné un nouvel et puissant appui à la foi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards fixés sur les lumières de la France.

On écoute également le portrait passionnant (60 minutes) proposé par Matthieu Garrigou-Lagrange dans son émission « Une vie, une œuvre« diffusée sur France Culture (Août 2014)
L’équipage, un roman inspiré du réel

Le capitaine Gabriel Thelis, personnage emblématique du roman L’équipage est inspiré du capitaine de l’escadrille S. 39 Thelis Vachon, héros de guerre, que Joseph Kessel rencontrera en 1917 alors qu’il s’engage volontairement dans l’armée et rejoint l’aviation et l’escadrille de Vachon en tant qu’observateur. Thelis Vachon est mort à seulement 24 ans, moins d’un mois avant la fin de la guerre. Lors d’un vol de repérage, il est atteint par une balle au poumon. Il parvient néanmoins à poser son avion avant de perdre la vie, sauvant ainsi l’observateur qui l’accompagne.
L’équipage et le cinéma
L’équipage de Joseph Kessel aura été adapté plusieurs fois au cinéma : en 1928 (film muet réalisé par Maurice Tourneur), puis en 1935 (film d’Anatole Litvak, au casting duquel figure Charles Vanel). Le scénario de ce second long métrage sera écrit en collaboration avec Kessel. Litvak et Kessel imaginent ensemble l’ajout d’une scène au film, scène qui inspirera plus tard à Kessel l’écriture d’une nouvelle publiée sous le nom Le repos de l’équipage. En 1969, Kessel intégrera la nouvelle dans le roman d’origine pour en faire une seule œuvre littéraire. Du livre à l’image et de l’image au livre, la boucle sera bouclée ! En 1937, Litvak sort un remake américain de son film sous le nom The woman I love.
Joseph Kessel, c’est aussi (notamment !)
- Les captifs – Grand Prix du roman de l’Académie Française 1927
- Belle de Jour -1928
- La passante du Sans-Souci – 1936
- Fortune Carrée – 1938
- Le lion – 1958
- Les cavaliers – 1967


Ce sont vos commentaires qui m’ont donné envie de lire ce roman. J’ai aimé dans ce livre l’amour fraternel qui unit ces hommes, leur sens du devoir, leur courage face au danger et à la mort qui rôde. Ce sont les plus belles pages.
La fin du livre est toute en émotion retenue.
Merci pour ce retour Jean-Paul ! Très heureuse que le livre vous ait plu. Mêmes émotions à la lecture de « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix que je ne saurais trop vous recommander si vous ne l’avez pas déjà lu (dans mon top 5 des incontournables de la littérature française !).
Tout à fait d’accord. Ceux de 14 est un poignant témoignage de la dure réalité des tranchées. On n’en sort pas indemne.
Toujours sur ce thème La main coupée de Blaise Cendrars.
A la recherche de lecture plus légère je vais lire le Fabrice Caro que vous recommandez.
Merci pour le conseil, je ne l’ai pas lu. Je le mets sur ma liste !